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2007
LE SANG DES FÉES
in (Pro)Créations
EXTRAIT

Beltaine : l’aube de l’été. Dans maint petit village en marge des Hautes Terres, les anciens rituels sont encore pratiqués, avec un mélange d’innocence amusée et de respect involontaire, hérité du passé. Dans la brume de ce premier jour de mai, les jeunes filles précèdent le soleil sur l’herbe rase, avides de se rafraîchir à la rosée naissante, devenue philtre de bonheur et de santé.

Jusqu’à l’aurore. Philtre de beauté, surtout, autrefois privilège des fées. Aujourd’hui, de vieilles gens voudraient y voir les larmes du peuple enfui, le souvenir amer d’un autre temps — d’une époque que n’a jamais sanctionnée l’Histoire des hommes, et qui pour cela ne leur appartient plus.

Certains, pourtant, ne se résignent pas, réclament l’héritage dédaigné par leurs ancêtres. Des druides du dimanche, en qui leurs collègues ne voient qu’ingénieurs en informatique, techniciens du téléphone, plombiers, les respectables auxiliaires d’institutions respectées. Leur semaine de labeur achevée, qu’importe à leurs employeurs s’ils quittent leur home douillet, s’ils délaissent la douceur de leur foyer pour des landes que le vent n’a jamais cessé de battre, depuis l’aube des temps ?

Certains poursuivent à travers les anciennes pratiques, réinventées mille fois, un remède au mal de la modernité, qui engourdit jusqu’aux rêves. Ceux-là se réchauffent au vent coupant des Hautes Terres. D’autres jouent le jeu de leurs parents, ou de leurs aïeuls, trouvant dans ces traditions presque effacées une raison de croire en la Continuité. Ils se sentent moins seuls. Moins perdus, peut-être.

Certains fuient la stabilité, d’autres la recherchent, la recréent. Tous font appel à la magie. Peu y croient. Moins encore la connaissent. Pour le vieil Alastair, la seule magie qui vaille, c’est celle des mots, des mélodies, des rires, du temps trop vite passé. Quoiqu’un peu dérangé, selon l’avis général et par lui partagé, voilà une figure appréciée de ce petit village écossais — et plus encore des occasionnels druides du dimanche, avides des contes d’un autre temps.

Un autre temps. Alastair ne le réalisait que trop. Pourtant, en cette veille de premier mai encore, il avait réjoui ses visiteurs de récits enchantés, roulés dans une voix qui pouvait avoir traversé les âges. Sans en avoir le savoir, sans en connaître les mystères, il aimait se croire un peu le descendant des bardes d’autrefois. Il avait appris certains des secrets de la harpe, avant que le temps n’ait engourdi ses doigts, ne les ait recourbés, serrés sur sa vie finissante.

Avec un soupir, Alastair quitta sa place près de l’âtre, laissé froid en cette veille de Beltaine. Tout le monde était parti, soit se coucher, soit se promener sous les étoiles en attendant l’aurore. Sauf Aila, bien sûr. Tout le monde, sauf Aila. « Encore une histoire, grand-père ! »

Ah, l’insupportable enfant. Un sourire pareil, une fraîcheur pareille, à une heure pareille. Alastair se demandait, avait-il jamais été aussi jeune ? Et puis, était-ce encore là une enfant ? Aila. Combien d’étés déjà s’étaient levés sur son front pâle ? Quinze ? Vingt ? Sans doute, plus près de vingt. Malgré tout, insupportable.

 

CRITIQUES

Pierre-Alexandre Sicart, lui, nous apprend dans Le sang des fées que l’esprit du merveilleux ne meurt jamais et passe de génération en génération à travers la musique et la poésie. Un des textes que j’ai préférés quoique suivi de près par l’Emmanuel d’Hélène Calvez, dans un tout autre style, celui d’un presque polar plein d’humour autour de la naissance dans la crèche une nuit de Noël.

— Hélène, site Parchemins et traverses, 9 août 2008

Pierre-Alexandre Sicart propose avec « Le Sang des fées », dans un très beau style clair et précis, une histoire de fantasy contemporaine sur atmosphère de landes bretonnes. Un grand-père attaché à la tradition raconte depuis toujours les légendes à sa petite fille, qui devenue jeune femme ne sait plus si elle est folle ou si elle a vraiment rencontré un être de faërie.

— Nathalie Faure, volet en ligne de Solaris 165, hiver 2008

Nous pourrions rapprocher cette nouvelle de Mélanie Fazi à celle de Pierre Alexandre Sicart, auteur que je ne connaissais absolument pas, mais dont le style m’a subjugué. Là encore, l’auteur fait revivre des légendes, celles des enfants fées qui naissent parfois dans les profondeurs de l’Écosse au son d’une harpe ou au son de la mer. Cette nouvelle ravira tous les amateurs de légendes écossaises et de féerie sombre.

— Cruisader, forums Psychovision, 9 mai 2007