Cette histoire commence le jour où l’on m’a invité sur des terres appartenant à Guilford College — une université de la ville Greensboro, en Caroline du Nord, où je vis depuis 25 ans. Je savais qu’il s’agissait là d’une institution quaker et que les Quakers avaient joué un rôle essentiel dans la filière clandestine qui, à l’époque de la guerre de Sécession, acheminait les esclaves vers la liberté ; mais jusqu’à cette visite, il ne m’était jamais venu à l’idée que l’université ait pu se trouver elle-même mêlée à l’opération. (J’ai grandi dans l’Ouest, où l’Histoire, ce sont des histoires qui se sont passées ailleurs.)
J’étais particulièrement ému par un cours d’eau qui s’était creusé un patient chemin sous les larges racines d’arbres immenses et vénérables. Jadis, les esclaves en fuite se hissaient jusque sous ces racines pour s’y dissimuler ; le courant cachait aux chiens leur odeur, tandis que les fuyards restaient bien au sec, au-dessus du niveau de l’eau.
Cette visite m’avait été proposée dans l’espoir que je pourrais peut-être attirer l’attention du public sur l’importance historique du site. En effet, celui-ci se trouvait sur le tracé d’un périphérique (inutile) autour de Greensboro, ville tristement célèbre pour ses routes qui ne mènent nulle part. Heureusement, sans que j’intervienne, le tracé fut changé et le site préservé.
En attendant, j’avais cet endroit en tête. Qui pourrais-je bien y placer ? Quelqu’un de notre monde moderne. Et qu’allait-il lui arriver parce qu’il se trouvait là ?
C’est ainsi qu’est née cette nouvelle. Que quelqu’un puisse servir de réceptacle pour les morts est simplement la première idée à m’avoir accroché. C’est du fantastique — je ne crois pas que l’on puisse vraiment acquérir de tels pouvoirs. Je ne crois pas non plus que l’euthanasie soit une bonne chose — bien au contraire, je crois que permettre à une personne d’en « aider » une autre à mourir mène directement au génocide des personnes âgées et des infirmes : une façon de transformer notre société en quelque chose de monstrueux. |
Et pourtant, il y a des personnes qui sont bel et bien prêtes à mourir ; que se passerait-il si quelqu’un pouvait les y aider ? J’ai alors imaginé, non seulement cette nouvelle, mais encore tout un roman. Toutefois, quand le moment est venu de l’écrire, je n’ai… pas pu. La perspective était par trop déprimante. Comment trouver assez d’espoir dans cette histoire pour en justifier la lecture ? À la place, j’ai fini par remplir mon contrat avec Le Trésor dans la boîte — un livre lui-même bien assez déprimant ! — et « Le Réceptacle » n’est jamais devenu un roman.
Entre-temps, la nouvelle était restée sous le coude d’un ami qui voulait la publier dans le cadre d’un projet qui ne s’est jamais réalisé. C’est ainsi que, plusieurs années après que tout ça me soit sorti de la tête, j’ai soudain récupéré mes droits sur une histoire que je pensais forte et qui n’avait jamais été publiée. Au même moment, j’allais en Espagne pour la première fois, à l’occasion d’une convention à Mataró. Là, j’ai pensé que ce serait sympa d’offrir à BEM, un magazine espagnol de science-fiction, une de mes nouvelles qui n’était encore parue nulle part, faisant donc de l’espagnol sa langue de première publication. Les éditeurs ont aimé l’histoire, et c’est donc là qu’elle est sortie en premier. |