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2009
GUÉRIS-TOI TOI-MÊME
in Galaxies 6
EXCERPT

Il y a des limites au-delà desquelles il devient impossible de protéger ses enfants contre les dures réalités de l’existence. Mais on ne saurait blâmer les parents qui essayent. En particulier quand il s’agit d’une question difficile à aborder.

Mes parents m’assurent qu’ils m’en auraient parlé un jour, mais ce n’est pas comme les oiseaux et les abeilles — ils n’y a pas d’âge spécifique où il devient nécessaire de savoir. Ils repoussaient au lendemain. J’étais un enfant plein de curiosité. J’avais déjà posé des questions qui auraient pu nous permettre de toucher le sujet. Ils esquivaient. Ils tergiversaient. Je comprends ça.

Mais alors, mon ami d’enfance, Elizio, est mort des complications de son vaccin contre la leucémie. J’avais reçu le mien le même jour, juste après lui, après avoir joué des coudes pendant vingt minutes dans la file d’attente formée par notre classe d’enfants de dix ans. Personne d’autre n’est tombé malade. On ne s’est pas rendu compte que quelque chose clochait avec Elizio, non plus, pas pendant plusieurs mois. Et puis, ce furent les radiations et la chimiothérapie, rescapés primitifs d’une époque où la médecine était presque impossible à distinguer des tortures de l’Inquisition. Rien n’a marché. Elizio est mort. Il avait onze ans, alors. Un lent passage dans la tombe. Et j’ai demandé à savoir pourquoi.

Ils ont commencé à me parler de Dieu, mais je leur ai dit que je savais, à propos du paradis, et que je n’étais pas inquiet pour l’âme d’Elizio ; je voulais savoir pourquoi il n’y avait pas de meilleur moyen de prévenir les maladies que de nous infecter avec des pseudo-virus à demi morts mêlés à des stimulateurs d’antigènes. Était-ce là ce que l’espèce humaine pouvait faire de mieux ? Est-ce que Dieu ne nous a pas donné des cerveaux pour nous permettre de résoudre ce genre de choses ? Oh, j’étais plein d’un juste courroux.

C’est alors qu’ils m’ont dit qu’il était temps pour moi d’aller visiter la Réserve d’Animaux Sauvages de l’Amérique du Nord. Qu’est-ce que cela avait à voir avec ma question ? Tout va devenir clair, m’ont-ils assuré. Mais il valait mieux que je vois ça de mes propres yeux. Ainsi, ils sont passés de ne rien m’avouer à tout me révéler. Étaient-ils sages ? Ce que je sais, c’est que j’étais en colère avec l’univers, une colère profonde née de la peur. Mon cher ami Elizio m’avait été enlevé parce que notre médecine était par trop primitive. Par conséquent, n’importe qui pouvait mourir. Mes parents. Mes petites sœurs. Mes propres enfants, un jour. Rien n’était sûr. Et cela me mettait en rage. La manière dont je me sentais, la manière dont je me comportais, je pense qu’ils ont décidé que seule une réponse complète, une expérience visuelle, pouvait restaurer en moi le sentiment que ce monde, s’il n’était pas parfait, était du moins le meilleur possible.

Nous avons quitté Saltillo ce week-end-là, à bord du TGV reliant Monterrey à Los Angeles. Nous sommes descendus à El Paso, l’entrée sud de la Réserve. Pendant la demi-heure qu’a pris le trajet, j’ai essayé de donner sens aux brochures sur la Réserve, à toutes les images, aux guides. Mais il était clair pour moi, même à onze ans, que quelque chose n’était pas mentionné. Que ce que j’avais là, c’était la version pour enfants de ce que la Réserve contenait. Parce que tout ce que les brochures décrivaient, c’était une vaste étendue de savanes, remplies d’animaux sauvages vivant dans leur habitat naturel, même si c’était un curieux mélange de faune africaine, sud-américaine, européenne et américaine qui était évoqué. Bien sûr, pour protéger les animaux contre les dangers qu’il y avait pour eux à s’égarer et contre la menace bien plus sérieuse que représentait le braconnage, la Réserve était entourée d’une barrière impénétrable — absente des brochures — constituée de clôtures, de fossés, de barbelés, de murs. Ce qui n’avait aucun sens, cependant, c’était la mise en garde à propos d’une bio-sécurité absolue. Toute observation de la Réserve à l’intérieur de ses limites devait prendre place dans des cars complètement bio-étanches, et quiconque tentait de circonvenir cette bio-étanchéité se voyait éjecté de la Réserve et traîné devant les tribunaux. Rien n’était dit de ce qui arriverait à l’individu qui réussirait à sortir du car.

Des cars bio-étanches suggéraient un risque biologique sérieux. Et pourtant, rien dans les brochures ne donnait la moindre indication quant à la nature de ce risque. Ce n’est pas vraiment comme si des troupeaux de bisons pouvaient se faufiler dans les cars si ceux-ci cessaient d’être parfaitement étanches.

La réponse à ce mystère était sans nul doute la réponse à ma question sur le pourquoi de la mort d’Elizio, et j’ai demandé avec impatience une explication à mes parents.

Il m’ont encouragé à faire preuve de patience, et m’ont fait passer sans ralentir devant les cars habituels jusqu’à une porte sans intérêt où était inscrit — en petites lettres — « Tours spéciaux ».

 


AUTHOR’S NOTES (translated from the original English)

C’est une de ces histoires qui demandaient à devenir roman, mais je ne savais pas par où commencer. Pour transformer une idée en livre, il faut un protagoniste capable de transporter le lecteur de la première à la dernière page. Un ouvrage entier ne saurait reposer seulement sur une idée.

Mais une idée peut suffire à un récit court. Celle-là m’est venu brusquement, en lisant un texte sur les dernières avancées en manière de génétique : et si l’intelligence humaine, ce bond immense séparant les animaux dépourvus de langage de nous, les êtres doués de parole, avait son revers ? S’il y avait un prix à payer ?

La science-fiction a une longue tradition de nouvelles construites autour d’une idée unique. « Les Neuf milliards de noms de Dieu » d’Arthur C. Clarke, par exemple. C’est juste une idée bizarre — ce n’est pas comme si Clarke croyait vraiment dans une religion pour laquelle la raison d’être de l’univers serait de permettre que soient prononcés tous les noms de Dieu. Mais c’était une idée amusante, et qu’est-ce que cela lui coûtait ?

Il n’y avait pas de personnages dans cette nouvelle, pas plus que dans « Guéris-toi toi-même ». Oh, bien sûr, il y a des rôles à jouer, des fonctions à occuper, mais ce n’est pas ce qui fait l’histoire : celle-ci n’est pas fondée sur les choix faits par des individus ; elle est fondée sur un certain ordre social. Les personnages n’existent que parce que la situation doit être révélée au lecteur à travers quelqu’un qui la voit et la comprend pour la première fois.

Je suis en bonne compagnie. Il n’y a de vrais personnages ni dans « L’Étoile » de Clarke, ni dans « Quand les ténèbres viendront » d’Asimov, ni dans « Ceux qui partent d’Omelas » de Le Guin. Seulement une idée, que l’auteur nous présente sous la forme d’un récit court.

Bien entendu, ce sont les lecteurs qui décident si une idée est suffisamment intéressante, ou éclairante, ou amusante, pour valoir d’être lue. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas pu lâcher celle-ci avant de l’avoir mise sur papier.

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