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2010
NOËL EN ENFER
in Ténèbres 2010
EXCERPT

Si on ne va pas au Paradis, on va en Enfer, pas vrai ? C’est ce qu’on m’a toujours raconté. Le Paradis, c’est les Grandes Écoles ; l’Enfer, c’est la fac — on ne peut pas être refusé. Sauf que pour l’Enfer, pas même besoin du Bac : mourir est la seule qualification requise.

J’ai lu ces bouquins sur les expériences de mort imminente, où il est question d’une « lumière » pleine d’amour et de chaleur. Bon, c’était chouette, d’accord, mais après ça, il ne faut pas s’étonner d’être déçu ; parce que si vous êtes vraiment mort, plutôt que simplement de passage, vous dépassez ce stade euphorique – et soudain vous y êtes, à la lumière, et soit elle vous aspire, soit elle vous repousse, comme un aimant. Tout dépend de votre polarisation.

Moi, j’ai été repoussé.

J’aurais dû m’y attendre, je suppose. De mon vivant, j’allais à l’église et tout ça, mais je n’étais pas très fort sur les trucs genre dire la vérité et aider mon prochain. Les fournitures de bureau avaient tendance à disparaître de mon lieu de travail, aussi, pour réapparaître à la maison. Pas trop souvent, mais je n’étais pas vraiment parfait. J’ai pas mal reluqué, d’accord, mais seulement dans les catalogues de lingerie. Je passais mon temps à m’engueuler avec ma femme, mais je ne l’ai jamais frappée, même si je l’ai beaucoup trop comparée à sa mère. Les péchés courants, quoi. J’espérais avoir la moyenne, je crois, et passer de justesse. Mais non, sans un 20/20, on vous claque la porte au nez.

Quel choix vous reste-il, après ça ? L’Enfer, pas vrai ? Je jette un coup d’œil alentour, en me demandant si Dante a tout inventé, et sinon, quel cercle m’attend.

La réponse, c’est : Dante y connaissait que dalle. On se retrouve planté là, c’est tout, dans une rue des Enfers. On repère une porte (toujours la même, qu’importe la rue) ; des gens entrent et sortent, tous sur leur trente-et-un, et on se dit, Super, y a des fringues sensas en Enfer, ce qui n’est pas étonnant, quand on y pense, et on frappe à la porte. Un gars vous regarde comme une tache sur le tapis, et s’enquiert :

— Votre nom ?

Je le lui donne. Il plisse du nez. J’ai l’impression de puer le lait caillé.

— Je n’ai pas de temps à perdre, dit-il en commençant à fermer la porte.

— Eh, attendez ! C’est l’Enfer, là, non ?

— Hadès, corrige-t-il avec un évident dédain.

— Je viens de me faire jeter du Paradis. Vous devez me laisser passer.

— Non, dit-il avec un air de fausse patience. L’endroit où tu es toujours le bienvenu, c’est ton petit chez-toi. Pas les Enfers. On n’accepte pas n’importe qui, on a du style, ici, de la classe : personne ne veut avoir à poser les yeux sur toi. Ce sont des stars, là-dedans. Staline. Hitler. Caligula, grand Dieu ! – oups, ça m’a échappé.

— Je ne demande pas d’être assis à la meilleure table !

— On n’en a aucune d’assez minable pour toi.

Rapide calcul mental : combien de gens ont vécu depuis que le monde est monde, combien ont dû échouer à l’examen d’entrée céleste, et combien de pécheurs de haut calibre auraient ici la préséance sur moi.

— Mais alors… je fais quoi ?

— Tu te barres et tu arrêtes de bloquer le passage.

— Vous vous prenez pour quoi ? Le Ritz ?

— Oh non, dit-il en rigolant. C’est bien pire. C’est une boum, comme au collège, et toi… tu… n’es… pas… invité.

À ce moment-là, une main énorme se plaque sur votre poitrine ; et elle ne vous pousse pas, non, elle vous projette à travers la rue, et vous vous écrasez contre un mur, mais sans douleur – vous êtes morts, hein ? – et sans blessure, et vous commencez à vous rendre compte que, oui, vous êtes bel et bien coincé en Enfer, mais sans pouvoir entrer. Vous essayez d’autres portes ; à chaque fois, le même gars vous attend pour vous envoyer valdinguer. Et il commence à pleuvoir. Une bruine fine et glacée, et si vous ne pouvez pas avoir mal, vous pouvez avoir froid, ou vous pouvez croire que vous avez froid, ce qui revient au même. Vous ne tomberez pas malade, vous ne mourrez pas de faim, mais vous resterez dehors.

 

AUTHOR’S NOTES (translated from the original English)

Voilà comment tout a commencé. Quelqu’un a lancé « Passe un Noël d’enfer ! » et mon imagination s’est emballée.

Vous voyez, nous autres Mormons ne croyons pas à la version traditionnelle que les protestants et les catholiques donnent de l’Enfer. Pour nous, c’est aussi réaliste que l’Hadès grec ou le Styx. Un mythe, rien de plus, propre à servir de divertissement. Alors quand j’ai entendu – ou peut-être lu sur une carte de vœux – « passe un Noël d’enfer », j’ai tout naturellement pensé qu’il serait amusant de faire de l’Enfer un endroit où il était bel et bien possible de passer un joyeux Noël.

J’ai posté cette histoire sur Hatrack.com – un petit cadeau. Et voici l’ironie de la chose : « Pour une pincée de poussière », que j’ai pris au sérieux, n’a guère provoqué de réactions ; mais on m’a beaucoup parlé de « Noël en Enfer ». Apparemment, un grand nombre de gens n’ont aucun problème à imaginer le Père Noël dans le rôle du Diable, ou vice versa, ou quelque chose comme ça.