French
2002
AUTOFICTION: Violence du langage et langage de la violence
in L’Esprit Créateur 42.4 (pp. 28-34)
EXCERPT

Le fait littéraire se nourrit de réalité : tout ce qui constitue l’existence lui est matériau potentiel, et la violence n’y fait pas exception. Mise en scène en vers comme en prose, condensée dans un sonnet, disséquée dans un roman, elle semble occuper en même temps tous les territoires… et n’en connaître aucun qui lui soit propre.

Et pourtant.

Peut-on affirmer qu’il n’existe pas d’écriture qui soit née de la violence, qui existe par elle, et sans elle se meurt ? Qu’en est-il de l’autofiction ? Fils, premier de ses écrits auquel Serge Doubrovsky ait donné ce nom, est né dans un climat de violence domestique, mais surtout, il est issu du besoin d’exorciser une crise interne, à l’instar de cette analyse psychiatrique autour de laquelle le texte se construit.

Plus précisément, le texte s’enroule autour d’une partie appelée « Rêves » (1) et ces rêves sont tous violents. Bombardement, torture, exécution, monstruosités… les scènes les plus cruelles, les plus brutales, se succèdent sur le divan de l’analyste, sous l’œil effaré du lecteur.

Cette violence onirique, nourrie de souvenirs liés au sexe, à la mère, à la guerre, s’impose à travers un style mimétique : saccadée, fragmentaire, une écriture comme un bruit de mitraille, un véritable déchaînement verbal, auquel jusqu’à la syntaxe se trouve sacrifiée.

La violence refoulée dans la vie quotidienne, trahie par le rêve, se trouve reflétée dans un texte essentiellement transgressif : les mots s’entrechoquent, choquent le lecteur, qui se trouve violenté avec le texte lui-même dans un présent de la lecture qui est aussi celui de l’écriture.

C’est à tous ces aspects du dit autofictionnel que nous nous intéresserons, dans notre étude du rêve princeps, ou rêve du monstre, dont la violence est d’autant plus obsédante qu’elle est refoulée. Ce refoulement est le résultat d’une série de transferts, au sens psychanalytique encore, qui brouillent les pistes et ainsi offrent une échappatoire à la cible — une cible qui, du fait même qu’il y a transfert, n’est peut-être pas celle que l’on croit.

 


(1) Fils, pp. 131-289. Les chiffres entre parenthèses, dans le corps de cette étude, renvoient à ces pages.